
Johnny Hallyday à Niamey, en mai 1968. © Photo Philippe Koudjina_Fonds Loïc Quentin
EXPOSITION. Une rétrospective s’ouvre dans la capitale nigérienne pour rendre un hommage inédit au célèbre photographe, témoin des folles années de l’indépendance.
Par Nathalie Prévost, à Niamey | Le Point.fr
« Photo-souvenir », c’était le nom du studio photo de Philippe Koudjina, au plus fort de sa renommée, face à la mission catholique, dans le quartier qu’il n’a plus jamais quitté. Né à Cotonou en 1940 et mort 74 ans plus tard au Niger, le photographe tout-terrain laissait derrière lui une montagne de clichés, quelques dizaines de tirages noir et blanc sur papier baryté du maître Philippe Salaün, des enfants en nombre incertain et un regard inégalé sur Niamey, des années 60 aux années 80.
Une grande exposition donne à voir du 22 octobre au 30 décembre 2020 au musée national et au Centre culturel franco-nigérien de Niamey une œuvre tendre et singulière, qui témoigne joyeusement d’un passé presque irréel. On y retrouvera quelques photos déjà connues et on découvrira beaucoup d’inédites, issues du fonds constitué par son ami Loïc Quentin.
Photographe-reporter des grandes années du Niger
Initié enfant à la photographie, Philippe Koudjina s’installe à Niamey à 19 ans. Il écume alors les nuits de la capitale, en marge de son travail plus « classique » d’aide géomètre puis de sténo-dactylo. En ce début des années 60, juste après l’indépendance, le Niger est prospère, vivant au rythme du yé-yé et de l’exportation des arachides. En 1962, le jeune homme abandonne la vie de bureau pour se consacrer à sa passion. Il propose, comme ses concurrents du golfe de Guinée, des portraits noir et blanc en studio et du reportage. En 1962, avec une série de photos sur des militaires français en goguette dans un bar, il devient le photographe attitré de l’armée française et des familles d’expatriés, enchaînant des images de cérémonies, de fêtes, de bals masqués et de sauts en parachute.
Pendant dix à quinze ans, Philippe Koudjina règne sur Niamey. Il est partout. Un peu reporter, un peu paparazzi, un peu photographe officiel, il fixe sur la gélatine des vedettes étrangères à l’aéroport, suit le président dans ses déplacements et raconte la vie officielle et la vie quotidienne. Il est aussi homme d’affaires. Il gère quatre ateliers, forme des jeunes pour le seconder, achète beaucoup de matériel et ouvre même un studio au Grand Hôtel. Philippe Koudjina travaille au Rolleiflex, en format 6×6 et développe ses films dans son laboratoire. Avec le boom de l’uranium, le Niger exulte. Ce sont des années de prospérité et de fête et Philippe en est l’un des héros.
Son œuvre se déploie dans tous les genres. La nuit, il photographie dans les discothèques, les bals ou les bars des couples, souvent jeunes, à la peau et aux yeux brillants. On devine la chaleur étouffante, même nocturne, et les rythmes de rumba congolaise. Le jour, il photographie des Français, des militaires et leurs familles, joyeux eux aussi, vêtus de blanc, masqués, en aube de communiants, autour de gâteaux d’anniversaire, un peu grisés. On devine le twist et le vin blanc.
Dans son studio, il installe un décor rudimentaire, une couverture, un banc, sur un fond d’étoffe drapée, et il fait poser les familles des classes moyennes et quelques célébrités locales. On se fait beau ou belle pour l’occasion, en costume cravate ou en boubou. Les femmes sont vêtues à l’occidentale ou enroulées dans les pagnes des uniformes de mariage, composant des ensembles graphiques. La photo est un souvenir de valeur, qu’on encadre et accroche au salon. Cette pratique a d’ailleurs perduré dans la société nigérienne. Le portrait photo encadré du chef de famille trône encore souvent dans les maisons des classes moyennes.
En 1974, le général Seyni Kountché, tout juste arrivé au pouvoir après une sécheresse historique qui anéantit le cheptel, ordonne le renvoi de l’armée française. Cinq ans plus tard, les cours de l’uranium s’effondrent et la crise s’installe.
La fin d’une belle époque
Au début des années 90, avec l’arrivée des Mini-Labs couleur, des jeunes s’improvisent photographes ambulants, munis d’appareils automatiques. Philippe vend son dernier labo et une grande partie de son matériel et il devient l’un d’entre eux. Il travaille alors en couleur, en format 24×36. Il sillonne toujours les lieux nocturnes de la capitale et revient vendre, le lendemain, aux mêmes clients des mêmes boîtes de nuit, ses photographies prises la veille en format carte postale. Ce sont des années moins fastes financièrement pour le photographe, mais sa joie de vivre reste entière.
C’est alors, en 1993, que Loïc Quentin, en poste au Franco (le centre culturel français), fait sa connaissance. Ça se passe à la Cloche, bar de nuit très couru jusqu’aux années 2000 pour sa musique, sa terrasse et ses Clochettes. « Je rencontre ce gars-là et on sympathise très vite. » Une histoire d’amitié se tisse, qui durera jusqu’après la mort du photographe.
« La découverte de l’œuvre de Koudjina, c’est une histoire de rencontres », raconte Loïc Quentin, qui s’est trouvé plusieurs fois au milieu. La première, c’est fin 1996, quand Pascal Martin Saint-Léon, directeur artistique de la Revue noire, vient à Niamey dans le cadre de la préparation d’une monumentale anthologie de la photo africaine. Loïc Quentin lui présente Philippe, qui l’invite chez lui le lendemain, dans une maison en argile qu’il partage avec sa femme et ses jeunes enfants. « Pendant plusieurs jours, il va découvrir les négatifs, rangés dans des cantines un peu en désordre. » Pascal Martin Saint-Léon repart avec près de 1 000 négatifs, contrat de cession de droits signé. C’est le début de la reconnaissance internationale pour le photographe, qui intègre l’anthologie et expose à plusieurs reprises.En 2001, Jean-Louis Saporito, réalisateur et grand amateur de photographie, vient à Niamey. Avec Loïc Quentin, qui lui est présenté, il crée une association d’aide aux médias du Sud : Contrechamps. Ayant découvert l’existence de Philippe Koudjina dans l’Anthologie, il souhaite le rencontrer. Loïc Quentin les présente. Par la suite, Jean-Louis Saporito et Philippe Salaün, le tireur de Malick Sidibé et Seydou Keita, vont passer des semaines à dépouiller les enveloppes de clichés, inventorier les images et nettoyer les films. 700 planches contact, soit environ 1 500 clichés sont issus de ce travail. Un film, des expositions et la vente des tirages barytés et contresignés de Philippe Salaün couronnent cette nouvelle étape.
Philippe Koudjina, un témoin essentiel du Niger
Dans l’intervalle, la situation de Philippe Koudjina s’est gravement détériorée. Blessé à la jambe dans un accident, il est handicapé, sans emploi, et mendie sur un tricycle à la sortie de la cathédrale et au rond-point Maorey, le quartier des photographes. Il a perdu la vue. Ses derniers boîtiers ont été vendus à la sauvette après l’accident.
En 2011, Loïc Quentin reverra Philippe Koudjina une dernière fois. Il lui rend près de 5 kg de négatifs en vrac et les planches contact conservées avec soin par Philippe Salaün. « Philippe était aveugle à ce moment-là. Il ne s’intéressait plus du tout à ses photos. Il voulait juste vendre ses négatifs », se souvient Loïc Quentin, qui décide alors, devant le risque de dispersion des clichés, d’en acquérir 1 500, la première sélection faite par Philippe Salaün et Jean-Louis Saporito. Ce sera le Fonds Loïc Quentin.
La troisième rencontre a lieu après la mort de Philippe Koudjina, à Niamey. Olivia Marsaud, responsable de la programmation du Centre culturel franco-nigérien, découvre les quelques tirages restants de Philippe Koudjina par Philippe Salaün. Et elle tombe amoureuse. En mars 2019, elle passe deux jours chez Loïc Quentin pour revisiter les planches-contacts. Son regard neuf fait émerger de nouvelles photos et des thématiques qui renouvellent le récit. Le projet d’une grande rétrospective prend forme.
L’exposition qui sera inaugurée le 22 octobre présente 126 de ces photographies au public, à côté de 20 photos issues du fonds de la Revue noire. Toutes ces images sont en noir et blanc et datent de la période faste du photographe, des années 60 aux années 75. « C’est la plus grande exposition jamais consacrée à Philippe Koudjina, qui représente un patrimoine culturel et une mémoire du Niger exceptionnels. Et c’est bien que cette exposition soit présentée à Niamey, là où Philippe a fait ses photos », se réjouit Loïc Quentin.Les négatifs ont été scannés et retouchés, les contrastes ont notamment été retravaillés, puis des impressions ont été effectuées en formats carrés de 110, 50 et 30 centimètres de côté. Pour être fidèle à l’esprit de ces photographies et faire revivre leur époque, Florent Mazzoneli, amateur de photo et collectionneur de musique, a réalisé une bande-son à partir de disques vinyles africains des années 60 à 75. Pour le public, ce sera l’occasion d’une expérience en immersion dans les nuits fiévreuses et endiablées du Niamey des années dorées.