
TRIBUNE. Sortir les irritants politiques que sont les symboles hérités du colonialisme, c’est bien. Refonder une coopération plus égalitaire avec l’Afrique, c’est mieux !
Par Vincent Ledoux* | Le Point.fr
Compte tenu des effets encore plus significatifs de la réforme proposée cette fois-ci, il faudra veiller à ce que ce soit encore le cas dans le projet de loi de finances pour 2021. En effet, les États de l’Union monétaire ouest-africaine centralisent leurs propres dépôts auprès de la BCEAO, car il ne s’agit pas d’un système décentralisé comme le Système européen de banques centrales. En cas de difficultés dans le fonctionnement de cette institution publique commune, la solidarité des différents États membres pourrait être mise à mal, alors que plusieurs de ces États sont confrontés à des crises politiques. Par ailleurs, ce que nous donnons aujourd’hui d’une main à la BCEAO nous revient finalement d’une autre. En effet, les banques centrales de l’actuelle zone franc sont les deux principaux clients hors zone euro de la Banque de France pour la fabrication de billets, et c’est plus de 50 % de l’activité de l’imprimerie de Chamalières. Pour la BCEAO, les dépenses dites « d’entretien de la circulation fiduciaire », c’est-à-dire l’achat de billets de banque fabriqués en France, leur transport et leur assurance, représentent un coût moyen de 45 millions d’euros par an. Même si la numérisation accélérée des économies africaines devrait permettre de restreindre les besoins de monnaie papier, il reste tout de même regrettable qu’après soixante années de coopération monétaire, les banques centrales africaines de la zone Franc soient dépendantes d’approvisionnements extérieurs, alors que leurs pays exportent le coton, matière première des billets de banque.
Le préambule de l’accord prévoit expressément le changement de dénomination du franc CFA, et on peut donc en déduire qu’il faudra, à brève échéance, émettre de nouveaux billets de banque avec une nouvelle dénomination. Ainsi, il me semble que cela doit être l’occasion de revoir rapidement les accords opérationnels de la Banque de France avec la BCEAO afin d’assurer un véritable transfert de compétences vers nos partenaires africains. La question des effets économiques de notre coopération monétaire en Afrique de l’Ouest fait l’objet de vives controverses, qui vont au-delà des échanges entre experts et trouvent une forte résonance dans les jeunes générations africaines.
Les griefs contre le franc CFA sont nombreux, parfois contradictoires, mais ils ne peuvent pas être écartés d’un revers de main. En effet la stabilité du franc CFA ne vient pas d’abord d’une garantie de la France ou d’un risque que la France accepterait d’assumer… elle découle directement du fait que la politique monétaire de la BCEAO suit celle de la zone euro, qui a une inflation faible. Le franc CFA, et demain l’éco, constituent donc une déclinaison de l’euro, tout comme avant 1999, il s’agissait d’une déclinaison du franc français. Or, il est difficile de considérer aujourd’hui, en 2020, que cette parité fixe est parfaitement adaptée aux besoins de développement d’État d’Afrique de l’Ouest, dont les démographies et les économies diffèrent tant de celles de la zone euro. Pas plus que l’aide au développement ne saurait, de l’extérieur, se substituer aux États au risque de les vider de leur substance, l’ancrage sur une devise extérieure ne constitue l’alpha et l’oméga du développement économique qui repose, d’abord, sur les ressources internes d’un pays et sur sa population.
La parité fixe à l’euro peut représenter des avantages, mais elle a aussi des inconvénients et il existe d’autres moyens de contrôler l’inflation tout en évitant un ancrage monétaire inadapté. Les bons taux de croissance en Afrique de l’Ouest constatés ces dernières années ont résulté de la croissance mondiale, mais aussi de la dépréciation de l’euro, donc du franc CFA, face au dollar. Inversement, la forte appréciation de l’euro face au dollar tout au long de la décennie 2000 avait fragilisé les économies de la zone, et déstabilisé, par exemple, la filière du coton au Burkina Faso.
J’invite donc à la plus grande prudence concernant le bilan économique du franc CFA : 60 ans après les indépendances et 75 ans après la création, dans les deux zones, de monnaies uniques ancrées sur le franc, les pays concernés sont tous des pays pauvres. La Côte d’Ivoire a aujourd’hui un revenu par habitant inférieur de 30 % au pic historique qui remonte à 1978. Le Sénégal n’a retrouvé qu’en 2015 le niveau de PIB réel par habitant qui datait de 1961. La dégradation du contexte politique dans les différents États de l’Uemoa constitue un révélateur implacable des difficultés économiques de longue durée. Concernant l’ancrage à l’euro, ne sommes-nous pas, nous Français, un peu juge et partie puisque les premiers bénéficiaires directs d’une garantie de parité sont les investisseurs étrangers déjà sur place, que la stabilité monétaire prémunit du risque de perte de change ? La dynamique d’apport de nouveaux investissements étrangers peut certes être favorisée par le cadre monétaire, mais elle dépend en premier lieu des perspectives économiques réelles : voisin de la Côte d’Ivoire et non membre de la zone franc CFA, un pays comme le Ghana vit sous un régime de changes flottants et accueille des volumes d’investissements directs à l’étranger beaucoup plus importants… Malgré notre coopération monétaire, les nouveaux flux d’investissements directs français vers l’Afrique sont majoritairement orientés en dehors de la zone CFA qui représente moins de 4 % de notre stock d’investissements à l’étranger. Ce constat avait poussé le président de la République à proclamer, il y a trois ans, la priorité africaine de la diplomatie française et ce chantier est encore largement devant nous. L’accord monétaire me paraît donc constituer une toute première étape, qui devra être complétée par une véritable réorientation de nos échanges commerciaux et financiers, dans le cadre d’une coopération refondée.
* Vincent Ledoux, député du Nord, commissaire aux Finances, rapporteur spécial de la mission Action extérieure de l’État.